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Kotinos Ghost
1 juin 2004

Perspex Dome (2)

... Quoique peur ne soit pas le mot qui convienne.
C'était plus une forme de mépris pour ne plus être capable de regarder en face sa propre vérité.

A moins qu'à force de porter le masque, celui-ci ne se soit incrusté sur elle comme une seconde peau, qu'il ne l'ait fossilisée.

Elle avait toujours eu sa propre traduction du suicide.
En fait, c'était très simple.
Les vivants, les pas suicidaires, les pas atteints, les "innoçents", les "vierges", se contentaient de rester au monde tout simplement parce qu'ils ne connaissaient rien d'autre, parce qu'ils n'avaient accès à aucun autre monde, parce qu'il n'y avait absolument rien en dehors de leur monde. Leur univers était clos. Soi-disant infini mais clos.
Jamais l'absurdité intrinsèque de leur monde ne les avait poussés à s'en créer un autre, bien à eux, ou être soi, où fabriquer sa propre histoire.

Elle n'avait strictement rien à leur dire. Elle ne parlait jamais de sa souffrance, elle ne la donnait jamais à voir. Elle l'avait depuis longtemps recouverte d'une carapace dure comme l'acier, assez dure pour la protéger des attaques mesquines, des arguments petits-bourgeois, des leçons de morales judéo-chrétiennes... de l'insignifiance des autres.
Elle continuait à arpenter un monde qu'elle ignorait précautioneusement et qui n'avait jamais rien pu faire pour elle.
Elle fuyait sans fuir.
Elle fuyait en restant immobile au milieu du manque de sens.

Le premier suicide, elle le haïssait. Il était totalement inhumain. Juste une boule de souffrance qui explose, aucune reflexion, aucune pensée, juste une bête prise au piège qui se dévore la patte pour échapper aux mâchoires de fer. Rien d'humain. Plus rien d'humain.
Il l'avait laissée hébétée devant tant de violence animale qu'elle s'était découverte. Et qui l'avait écoeurée.

Mais il avait aussi fait office de "dépucelage".
Une fois la porte poussée, le verrou qu'on a fait sauter, les gonds qu'on a arrachés, plus de retour en arrière possible. En tout cas plus de retour à une situation antérieure vierge, immaculée, innocente. Plus de tabous.
Même si on en revient par miracle, elle avait au moins réalisé que c'était un aller simple.

De toutes façons, elle savait quelque chose : elle était déjà morte.
Parce qu'en fait on ne choisit pas de mourir (c'est un choix qu'on n'a pas : il faudra mourir de toutes façons) mais de mourir MAINTENANT.
Et qu'elle était l'unique maîtresse de ce maintenant-là. Qu'aucune morale, aucune loi, aucune règle, aucun être humain  ne pouvait se l'arroger à sa place.
Et que ce "maintenant" soit dicté par une lassitude, une souffrance, une forme de stoïcisme ou quoi que ce soit d'autre n'y changeait rien.

En rentrant de l'HP après le séjour imposé "Vol au dessus d'un nid de coucous" pendant lequel elle s'était régalée à jouer les Jack Nicholson, elle avait posé son sac marin, pris une grande feuille de papier beige sable, son stylo-plume préféré à l'encre couleur tabac et avait tracé les derniers mots laissés par Romain Gary :
"Je me suis bien amusé. Au revoir et merci. Romain Gary, 21 mars 1979".
Plié en quatre, dans une enveloppe, elle l'avait glissé sous sa lampe de chevet.

Et elle avait commencé à planifier le second... en stratège.

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