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Kotinos Ghost

16 juillet 2004

Mild und leise

 

Il y a un an, jour pour jour, heure pour heure, je renonçais à la seule souveraineté de ma nuit vivante.
J'avais rêvé l'impossible. Contre toute attente, je l'avais atteint, puis le possible à son tour est devenu impossible.
J'ai renoncé à ma liberté plutôt que de prendre le risque de ne lui offrir qu'une servitude, plutôt que de l'entraîner dans mes gouffres.
J'espérais malgré tout découvrir en moi une force me permettant de respirer dans l'absurde chagrin de vivre sans comprendre.
J'ai échoué.
Je n'ai trouvé que la torture de l'attente malgré tout, malgré moi.

Il y a quatre mois, j'ai ouvert ce blog pour tenter d'échapper aux noyades des drogues, des anti-douleurs, de l'alcool, des coma à répétition.
Je pensais que l'écriture pourrait peut-être me libérer de cette tumeur-là.
J'espérais que ce serait un moyen de vider ma tête et mon coeur de cette putréfaction vivante.
Là aussi, j'ai échoué.
Je n'ai jamais réussi à pénétrer le noyau de l'atome comme je l'avais espéré dans ma première note, le 15 avril dernier.
Je n'ai fait que tourner autour, me consumer à sa périphérie, brûler le peu qui subsistait de moi en restant dans l'ombre portée de son irradiation, sans avoir le courage d'aller jusqu'au bout des mots, sans avoir la lâcheté de porter le scalpel sur lui.
Il restera intact, inviolé, pur.

Il y a un an, je croyais savoir où j'allais.
Depuis sept jours, je ne sais même plus qui je suis.
"Vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir ?
Mourir, c'est devenir, mais nulle part, vivant ?"
Je n'en sais plus rien.
Je n'en sais plus rien si je l'ai même jamais su.
Je croyais que l'écriture m'aiderait à me trouver et je me suis perdue dans le dédale des impasses que j'ai moi-même construites.
Disloquée.
Démembrée.
Oneiros Thanatos voulait rassembler ses fragments pour reconstruire le miroir d'Orphée, pour retrouver son Eurydice, le fantôme de Kotinos.
Au lieu de quoi, elle les a piétinés au point de n'en plus faire qu'une myriade de petits éclats de verre, tapis coupant sur lequel, absurde, elle danse, comme possédée.
L'écriture n'a pas eu le pouvoir de l'exorciste.
Le pouvoir du Verbe s'est évanoui.

Il y a quatre mois, j'ouvrais ma première note avec ce tableau de Jean Delville qui m'a toujours fascinée par la beauté crépusculaire de sa lumière.
Je l'ouvrais aussi sur le seul point fixe de ma vie, la seule ancre de mon existence, mon unique ambition, mon Credo : Tristan et Iseult.
Ce Liebestod de Richard Wagner qui condense de la façon la plus essentielle qui soit à la fois la beauté et la cruauté, l'amour et la mort, l'éternité et le vide.

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Bande-son : Wagner - Tristan Und Isolde -  Act 3 - Scene 3  (Isoldes Liebestod.)

Bande-son : Wagner - Tristan Und Isolde -  Act 3 - Scene 3 (Isoldes Liebestod.)

   

Version originale

Mild und leise
wie er lächelt,
wie das Auge
hold er öffnet ---
seht ihr's Freunde ?
Seht ihr's nicht ?
Immer lichter
wie er leuchtet,
stern-umstrahlet
hoch sich hebt ?
Seht ihr's nicht ?
Wie das Herz ihm
mutig schwillt,
voll und hehr
im Busen ihm quillt?
Wie den Lippen,
wonnig mild,
süßer Atem
sanft entweht ---
Freunde ! Seht !
Fühlt und seht ihr's nicht ?
Hör ich nur
diese Weise,
die so wunder-
voll und leise,
Wonne klagend,
alles sagend,
mild versöhnend
aus ihm tönend,
in mich dringet,
auf sich schwinget,
hold erhallend
um mich klinget ?
Heller schallend,
mich umwallend,
sind es Wellen
sanfter Lüfte ?
Sind es Wogen
wonniger Düfte ?
Wie sie schwellen,
mich umrauschen,
soll ich atmen,
soll ich lauschen ?
Soll ich schlürfen,
untertauchen ?
Süß in Düften
mich verhauchen ?
In dem wogenden Schwall,
in dem tönenden Schall,
in des Welt-Atems
wehendem All ---
ertrinken,
versinken ---
unbewußt ---
höchste Lust !

   

Traduction française
(offerte par Thibaut... il n'y a pas de hasard)

Que son sourire est
doux et léger,
comme il ouvre les yeux :
le voyez-vous, amis ?
Ne le verriez-vous pas ?
Comme il brille
de plus en plus radieux,
de plus en plus puissant,
environné d'étoiles,
ne le verriez-vous pas ?
Comme son coeur se gonfle
vaillamment, et plein et sublime
bat dans sa poitrine !
Comme de ses lèvres
une douce haleine,
délicieuse, suave,
s'échappe doucement :
amis, voyez !
ne le voyez-vous pas ?
ne le sentez-vous pas ?
Suis-je seule
à entendre cette mélodie
qui, si légère,
si merveilleuse,
soupirant de bonheur,
disant tout avec douceur,
douce et conciliante,
s'échappe de lui,
prend son élan,
me pénètre
et de son timbre gracieux
résonne autour de moi ?
Ces voix plus claires
qui m'environnent,
sont-ce les ondes
de brises suaves ?
Sont-ce des flots
de parfums délicieux ?
Comme ils se gonflent,
comme ils m'enivrent,
dois-je respirer ?
dois-je regarder ?
Dois-je savourer,
m'y plonger,
doucement,
dans ce parfum
m'évaporer ?
Dans la masse des vagues,
dans le tonnerre des bruits,
dans le Tout respirant
par l'haleine du monde,
me noyer,
m'engloutir,
perdre conscience,
volupté suprême !

Ça n'est pas ici que je trouverai cet apaisement. Je le sais. Je le sens.
Depuis peu, mais j'en suis certaine.
Et René Char l'a dit avant moi : "On ne peut se retirer de la vie des autres et s'y laisser soi."

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15 juillet 2004

La mort des amants

Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d'étranges fleurs sur des étagères,
Écloses pour nous sous des cieux plus beaux.
   
Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.
   
Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux ;
   
Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.

Charles Baudelaire - Les Fleurs du Mal

Conversation douce en echo dans ma tête...
Un ange... mais quel ange ?
L'Ange de la Mort, tout rayonnant qu'il soit pour Baudelaire ?
Ou l'Ange de la Vie est belle de Franck Capra, le facétieux et maladroit Clarence ?
Oneiros Thanatos ou Georges Bailey ?

De quelle peau devrai-je me débarrasser ? Laquelle choisir, si choix il y a ?
Stig Dagerman disait "...et quelle impitoyable consolation pour celui qui s'avise que l'être humain doit mettre des millions d'années à devenir un lézard !".
Il n'a pas dit que la mue pouvait être aussi douloureuse.

15 juillet 2004

Calme blanc

Pas un souffle.
Voiles affalées.
Pas une ride sur l'onde.
Je pourrais presque voir le fond et les coraux si je me penchais sur le bastingage.

Ils sont toujours étonnants ces moments, quand tout s'arrête, comme une transparence de cristal.
On sent qu'il va se passer quelque chose sans savoir quoi.
L'air prend une immobilité à laquelle on pourrait presque donner une couleur, une épaisseur, un poids, une douleur.

Est-ce l'impression qu'ont les funambules lorsqu'ils s'arrêtent à mi-parcours, sur ce filin tendu entre deux rives ?
A quoi pensent-ils ?

15 juillet 2004

Exercice imposé

C'était une erreur.

Idée farfelue que celle d'imaginer que je pourrais, à la commande, dire ce qui n'est ni traduisible ni partageable.
Pas de cette façon-là en tout cas.
Je me demande même si j'en ai vraiment eu le désir.

L'absence est comme un trou noir qui aspire tout inéluctablement.
Plus je tente de l'approcher, plus elle se dérobe.

J'envie ces carnets, ces blogs, pétillants d'humour et de légèreté.
Les blogs des gens normaux. De ceux qui vivent, qui ont une vie, et qui savent la partager sans être lourds, pesants.
On ne peut indéfiniment raconter le vide sans le devenir.

Ça ne me soulage même plus.

13 juillet 2004

Interlude

Kotinos, pardonne-moi, mon âme, d'interrompre les Panathénées qui se déroulent en ton honneur mais j'ai une bulle colorée qui menace de me faire exploser de l'intérieur si je ne la libère pas d'une façon ou d'une autre.

Message personnel à qui se reconnaîtra s'il me lit, à qui il est destiné même s'il ne me lit pas :

"Si j'en réchappe, je sais que je devrai rompre avec l'arôme de ces années essentielles, rejeter (non refouler) silencieusement loin de moi mon trésor, me reconduire jusqu'au principe de comportement le plus indigent comme au temps où je me cherchais sans jamais accéder à la prouesse, dans une insatisfaction nue, une connaissance à peine entrevue, et une humilité questionneuse."

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13 juillet 2004

Retour en l'Île de l'Etoile

A me remémorer la rencontre et ses lieux, j'ai eu envie d'en arpenter de nouveau les chemins oubliés.
Je viens donc de déguster ma madeleine au cyanure.... et j'ai bien ri, ma foi !

Retour sur une période joyeuse, une exultation quotidienne qui a duré des mois.
J'ai relu les posts du forum sur lequel nous sévissions de concert.
Quel labyrinthe en fait !
Trois niveaux de lecture au moins :
 
Ce que j'appelerai la "tête de gondole", c'est-à-dire les premières pages du forum où notre belle bande de vandales tolkiendili, membres de la secte des abysses et affidés joyeux des forces ténébreuses quoique cultivées, massacraient dans la jubilation la plus totale les hordes pré-pubères adeptes avilies du langage SMS, de la syntaxe approximative, de LegoBloom la fadasse et du culte du moindre effort réunis.... bref, la chasse aux cons décérébrés dans toute sa splendeur.
Il faut bien dire que nous étions d'une férocité sans égale ! Pas de quartier pour les mous du bulbe rachidien ! Nous n'avions guère le choix de toutes façons : notre dramatique infériorité numérique nous interdisait le moindre apitoiement. Alors quitte à succomber sous le nombre, autant le faire avec panache et dans un baroud d'honneur mémorable.
Anglachel, Mormegil la Noire, Gurthang la Maudite, nos hordes de dragons emmenées par Ancalagon et Glaurung.... tout était bon pour, en comparaison, faire du récit du massacre des Troyens par Achille (chant XX de l'Iliade d'Homère) une aimable partie de plaisir au pays de Candy la couillonne et des Teletubbies.
De vrais sauvages. Outrageusement cultivés et en jouant avec un sadisme certain aux dépens du troupeau de lemmings jacksonolâtres autant que M6esques voire Loftstoriens, mais des sauvages quand même !
Quelle belle bande nous faisions, tous !

Un niveau en-dessous, le fond de forum où seule la dite secte des Anciens, des créateurs et des premiers occupants du dit-site, se retrouvait afin de souffler un peu entre deux exécutions capitales par décapitation façon Judith et Holopherne pour les classiques, ou Kill Bill pour les plus modernes, de la énième Arwen1875 ou du dernier Frodon666...
Là, nous nous ébattions joyeusement dans les ruisseaux de sang que nous avions fait couler à l'étage au-dessus. Humour au 15ème degré, réparties qui tuent, références nervaliennes, catulliennes ou lautréamontesques... tout était bon pour se laver l'esprit du niveau zéro des piètres cibles même pas émouvantes qui nous les brisaient menu façon Tontons Flingueurs... un régal ! A relire nos échanges d'alors, je m'esclaffais comme au temps où nous les écrivions.

Et le troisième niveau : le nôtre ! Nous deux contre le monde entier.
Les mails en parallèle que l'on s'envoyait (il m'a suffit de sortir les archives d'Outlook et de faire coïncider les dates et les heures) et où nous nous gaussions seuls des deux batailles, l'émergée et la souterraine... et nos intuitions simultanées, et nos fous-rires aimantés par cette complicité unique, et ce mélange au parfum grisant de tendresse, de connivence, d'admiration bluffée, de guerilla sans reproche, juste pour la lucidité, de partage parfait et indestructible, inaliénable...

Moments parfaits.
Union parfaite.
Double amande jointe et close en ce noyau qu'est l'amour-agapè.

Je veux m'endormir sur ce rire éveillé.

12 juillet 2004

Beautiful freaks

Quelle est la molécule, quelle est la monade essentielle qui brusquement déclenche les connexions, crée les synapses de l'intuition irréductible ?

La première fois que je l'ai lu, j'ai eu la certitude absolue d'une rencontre unique.
Je ne saurais pas exactement expliquer comment la vague de ce tsunami bien particulier a pris naissance, souterrainement.
Autant que je m'en souvienne, la discussion devait être historico-géographique ou géo-politique ou politico-économique...
Et tout de suite la sensation que je pouvais lire plus qu'il n'y avait d'écrit. Que je savais ce qu'il pensait vraiment et qui n'était pas dit, ou inscrit en filigrane sous la correction policée de l'helvète.
Surtout la certitude d'être la seule à le voir ! Ça, c'était l'évidence ! Il écrivait à l'encre sympathique et j'étais la seule à décoder les messages dissimulés.
Parce que manifestement, les autres intervenants de la discussion en question ne semblaient pas percevoir comme moi les montagnes de causticité sous ses formules lapidaires et précises, les himalayas d'ironie cinglante sous le ton mesuré et quasi technicien.
Alors que moi, devant mon écran, je pouffais de rire comme une folle !

Déjà, j'avais l'impression qu'il ne montrait qu'une infime partie de ce qu'il était.
Déjà, l'iceberg, la partie cachée de l'iceberg, qui me saute au visage et semble être invisible pour les autres. Alors que j'aurais mis ma main au feu, dès cet instant, qu'il y avait autre chose, une étrangeté, une unicité, une originalité dérangeante et absolue.
J'avais raison ! Ô combien !

Plus tard, quand on s'est connu et qu'on a échangé de façon plus privée, par mails, par lettres, j'ai eu confirmation de ce que j'avais perçu dès ces premières lectures.
J'ai surtout eu le privilège incommensurable d'être la seule confidente en qui il avait suffisamment confiance pour dévoiler la totalité de sa personnalité.
Il faut bien dire qu'on est aussi monstrueux l'un que l'autre, mon amour !
Lui aussi, il avait reconnu une forme de fraternité, de gémellité en ce que j'écrivais malgré notre différence évidente de style.
Il est fort probable que ce sont justement nos différences qui nous ont attirés l'un l'autre ! L'herbe est toujours plus verte ailleurs, n'est-ce pas ?
J'enviais cette rigueur inattaquable, cette apparente mesure de ton qui rendait encore plus éclatantes la démonstration et l'analyse. Lui, admirait la passion et les rythmes que j'imprimais à mon style au gré de mes colères ou de mes rages.
Mais nous savions déjà que le fond était le même. Même roc. Mêmes gouffres. Mêmes flammes.

Mais quelle peut être la joie plus puissante que celle de le lire et de l'entendre me dire ce qu'il ne dit à personne d'autre, parce qu'il sait qu'il sera au mieux incompris, au pire stigmatisé.
Pas avec moi parce qu'il a compris que nous sommes semblables.
Pas identiques mais semblables dans cette étrangeté radicale, l'habitude de porter un masque pour l'occulter aux yeux des conformistes abrutissants et panurgiques, une forme de résignation douloureuse mais détachée, aussi, à cette forme de solitude choisie.

Nous sommes des monstres, mon amour.
Mais de beaux monstres, n'en déplaise aux nuisibles.

12 juillet 2004

Cérémonie d'ouverture

Comme promis, je déclare ouvert le premier Festival mondial de Kotinos...
Cinq jours de festivités.
Cinq jours de chorégies.
Pas un de moins, pas un de plus.
Pas de roulement de tambours. Ça fait trop militaire.
Pas de flashs et de haies de paparrazzi. On a toujours préféré l'ombre et les ténèbres à la lumière.
Pas de tapis rouge. Ou alors rouge sang.
Pas de marches. Hormis celle de Cirith Ungol.

... Ou comment tenter pitoyablement de faire de l'humour alors que je ressens une forme d'intimidation, de trac.

Non pas que ça me gêne de parler de toi mais c'est qu'il y a trop à dire, que je ne sais par où commencer : quel est le plus important, est-ce qu'il est important de trouver le plus important, est-ce que j'aurai le temps de dire l'important ?

Bizarrement, c'est la nuit que me viennent les phrases essentielles. Les idées clés, charnières.
Etrangement aussi, le hasard du calendrier fait qu'on fête les Kotinos aujourd'hui-même. C'est peut-être un signe ?
Je ne suis pourtant pas superstitieuse ni particulièrement attentive aux coïncidences. Hormis peut-être en ce qui concerne les étoiles, filantes ou non.
C'est plus un jeu qu'autre chose.
Comme celui qui me fait préférer la cosmogonie mythologique grecque aux monothéismes âpres et sans indulgence qui mettent le monde à feu et à sang.
Le fait de préférer dire "Nom de Zeus" plutôt que "Nom de Dieu" (ou "Nom d'un chat" plutôt que "Nom d'un chien") n'est qu'une plaisanterie, une coquetterie littéraire.
Je pourrais tout aussi bien dire "Nom d'Eru Iluvatar" si je m'en tenais à notre Tolkien...

Pourtant je ne me souviens n'avoir fait qu'une seule prière fervente, réellement fervente, de toute ma vie d'agnostique.
C'était face à une Athena Glaukopis, dans un musée. Regarder cette face de marbre austère et guerrière et, silencieusement, l'adjurer de toute mon âme.
"Je te le confie, ô déesse ! Protège-le de tout et de tous, à jamais ! Exauce ses voeux, les moindres de ses voeux ! Guide-le ! Evite-lui les pierres acérées de ce chemin au bord de l'abîme ! Fais-le pour moi, Athena ! Prend-le sous ta garde à ma place, en mon absence !"
Plonger un regard suppliant sur ses orbites étrangement fixes qu'ont les statuaires antiques, s'y perdre, questionner l'opacité de la pierre muette, attendre une réponse.

Tout à l'heure, je parlerai de toi.
Là, je vais juste rêver et remonter le temps pour retrouver le fil d'Ariane qui me conduira vers ton rivage.

11 juillet 2004

L'éloge de la fuite

Avant d'être un film de Resnais, c'était un livre de Laborit.
Très difficile à accepter. Je me souviens m'être fait violence pour m'appliquer à moi-même certains de ses constats.

Voilà ce qu'il disait au sujet de la mort, que ce soit la nôtre ou celle des autres :
"Peut-on dire que nous existons en tant qu'individu alors que rien de ce qui constitue cet individu ne lui appartient ? Alors qu'il ne constitue qu'une confluence, qu'un lieu de rencontre particulier «des autres» ? Notre mort n'est elle pas en définitive la mort des autres ?

Cette idée s'exprime parfaitement par la douleur que nous ressentons à la perte d'un être cher. Cet être cher, nous l'avons introduit au cours des années dans notre système nerveux, il fait partie de notre niche. Les relations innombrables établies entre lui et nous que nous avons intériorisées, font de lui une partie intégrante de nous-mêmes. La douleur de sa perte est ressentie comme une amputation de notre moi, c'est-à-dire comme la suppression brutale et définitive de l'activité nerveuse que nous tenions de lui. Ce n'est pas lui que nous pleurons, c'est nous-mêmes. Nous pleurons cette partie de lui qui était en nous et qui était nécessaire au fonctionnement harmonieux de notre système nerveux.

La vraie famille de l'homme, ce sont ses idées, et la matière et l'énergie qui leur servent de support et les transportent, ce sont les systèmes nerveux de tous les hommes qui à travers les âges se trouveront «informés» par elles. Alors, notre chair peut bien mourir, l'information demeure, véhiculée par la chair de ceux qui l'ont accueillie et la transmettent en l'enrichissant, de génération en génération."

Quand j'ai relu ça ce soir, j'ai été partiellement consolée. Très partiellement, bien sûr.
J'arrivais à comprendre une douleur que je ne m'expliquais pas jusqu'à présent.
Les fragments de Thibaut, les miens, ceux de nous tous, ils sont partout. Sur tous les blogs, disséminés sur cette toile virtuelle.
Et nous les transmettons.
Et ils perdurent à travers nous.

Mais l'angoisse ne disparaît pas. Ce serait trop simple.
Il y a plusieurs façons de fuir nous dit Laborit. Certains utilisent des drogues, d'autres empruntent les voies de la psychose, de la navigation en solitaire ou même, en dernier recours, celle du suicide. «Il y a peut-être une autre façon encore : fuir dans un monde qui n'est pas de ce monde, le monde de l'imaginaire. Dans ce monde on risque peu d'être poursuivi.»

Celle-là a toujours été la mienne.
Ma fuite.
Ma lâcheté, peut-être aussi.
Comme un animal pris au piège et qui se ronge la patte pour échapper à la brûlure des machoires de fer qui se sont refermées sur lui.
Demain, c'est ce que je ferai, vraissemblablement.
Recréer un monde qui n'est plus de ce monde.
Recréer un monde en l'extirpant de son mausolée.
Faire revivre un fantôme.
Le fantôme de Kotinos.
Une dernière fois.
Une Tour Sombre et une Enflammeuse d'étoiles.

In western lands beneath the Sun
the flowers may rise in Spring,
the trees may bud, the waters run,
the merry finches sing.
Or there maybe 'tis cloudless night
and swaying beeches bear
the Elven-stars as jewels white
amid their branching hair.
Though here at journey's end I lie
in darkness buried deep,
beyond all towers strong and high,
beyond all mountains steep,
above all shadows rides the Sun
and Stars for ever dwell:
I will not say the Day is done,
nor bid the Stars farewell.

J.R.R. Tolkien

11 juillet 2004

Primate électrique

Fixer le plafond. Se dire qu'il mériterait un bon coup de pinceau, comme les murs.
Parce que la fumée du feu de bois et celle des cigarettes conjuguées en ont terni le blanc cassé
Se dire "A quoi bon".

Rester étendue sur le lit, par terre. Avec Joey dans les bras.
Sphinx qui me fixe comme je fixe le plafond depuis des heures.
Est-ce qu'elle se dit "Elle mériterait bien un bon coup de pinceau. Parce que la fumée du désespoir et celle des cigarettes conjuguées n'ont jamais donné un teint hâlé et qu'elle est blanche comme de la porcelaine, la pauvre fille" ? Est-ce qu'elle se dit "A quoi bon." ?
Non.
Elle me fixe et elle ne dit rien.
Elle écarquille un peu plus ses pupilles de jade liquide, toute étonnée que je la caresse aussi longtemps sans même y prendre garde.

Une chanson qui me revient. Longtemps interdite d'antenne, comme "Les désespérés" de Brel.
Faut pas désespérer le bon peuple.
Ni celui de Neuilly, ni celui de Billancourt.

En qualité de primate électrique
Je vis sans but, je vais sans hic
Au gré des sentiments, au gré du temps
Puis de nulle part vient le printemps

C'est donc en vertu d'une fatigue soudaine
Mélangée à la peine de l'esseulé
Que ni le corps ni l'âme ne manifestent bien
Le tout petit désir de vivre


J'ai attiré l'escouade technique
Parce que dos aux briques j'ai exprimé
D'une hauteur inquiétante pour qui ne sait voler
Mon seul et cuisant chagrin d'amour


Les joues en rivière, les deux mains glacées
Et tout le quartier au parterre pariant sur ma chute
« Tombera-t-il au sol ou sur le cabriolet? »
Qu'importe mais quitter ce monde laid


Je ne dois à personne mon coeur encore qui bat
Qu'à une flamme bonne qui scintilla
Cet instant fatidique avant le saut mortel
Depuis Dieu m'intrigue et j'attends le printemps
Aujourd'hui Dieu m'intrigue
Et j'attends le printemps

Daniel Bélanger - Primate électrique

Je ne crois pas en Dieu.
Et je me fous du printemps.
Il avait fermé ses commentaires juste après son dernier message, juste après mon premier mail.
Il ne répond pas aux suivants.
Il n'a pas attendu le printemps.

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