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Kotinos Ghost
8 juin 2004

Jeter les bases d'une société humaine

La haine et le mépris que l'homme nourrit le plus souvent à son égard et envers ses semblables révèlent combien l'inhumanité est le vrai malaise de notre civilisation. Nos sociétés sont malades de la barbarie qui paie les agios de l'opulence financière.
Il faudra le répéter jusqu'à ce que l'évidence pénètre en nous comme une plénitude : notre seule richesse est la vie, une vie sans cesse affinée par le progrès de la sensibilité et de l'intelligence humaines. Elle nous est donnée sans réserve, sans contrepartie. Nous n'avons ni à la sacrifier ni à la rembourser au prix courant de l'infortune. Notre combat n'est plus de survivre dans une société de prédateurs mais de vivre parmi les vivants.
Il y a en chacun de nous une joie de vivre que le poids des contraintes et des contrariétés tourne trop aisément en reflexe de mort, et sans laquelle, pourtant, il n'est de salubrité ni pour l'individu ni pour la société.
(...)
L'être humain n'est ni une proie ni un prédateur. Assurer la primauté de la vie sur l'économie, c'est opposer un non ferme et définitif à toute forme de prédation en apprenant à vivre au lieu d'apprendre à tuer, à réprimer, à exploiter.
Rien n'est plus important que de nous prémunir et de prémunir l'enfant contre la manipulation du vivant par l'économie. Nous n'insisterons jamais assez sur l'importance de promouvoir un enseignement qui brise le cercle vicieux du refoulement et du défoulement, de la tyrannie et du laxisme, du mérite et du démérite, du mépris de soi et des autres. La véritable sécurité d'existence commence où finit la loi du plus fort et du plus rusé.
C'en est assez de cette existence de chacal en quête de charogne et d'espérance. Nous voulons créer un style de vie qui privilégie à tout âge les jeux d'apprentissage, la créativité, l'émulation, la curiosité, l'imagination, la passion de la découverte, l'ouverture à soi et à ses semblables, l'éveil au corps en tant que lieu de jouissance, l'invention du merveilleux, frappant ainsi de désuétude le fétichisme de l'argent, le travail, la cupidité, la volonté de puissance, la combine, la manipulation, la compétition, la concurrence, le calcul, l'agressivité, le repli caractériel, la frime, l'exclusion, la séparation, la culpabilité, le sacrifice, la dépendance, le clientélisme, le grégarisme, l'identification à un clan ou à une image de marque.
(...)
Les opprimés ont toujours été vaincus par les armes qu'ils offraient aux opresseurs. Le règne de la cupidité, de la volonté de pouvoir, du désespoir existentiel, de la haine, du ressentiment, n'a rien à craindre d'insurgés perméables aux virus qu'il essaime.
(...)
Il n'est pas d'horreur répandue sur le monde qui ne naisse d'un corps arraché au désir de vivre par une économie qui l'exploite et le dénature.
(...)
Enferré dans la quotidienne malédiction dont l'accable l'économie dominante, le bonheur est sans doute l'inclination la plus naturelle et donc la plus difficile à revendiquer et à parfaire. Mais il offre le privilège de ne tuer jamais. Son obstination à ne reculer que pour mieux assurer sa prise dessine les lignes d'une force irrépressible et affermit la violence même d'une vie qui, une fois adonnée à sa propre création, atteint à une telle passion qu'elle dénoue l'enlacement de la mort et abandonne les puissances de destruction à leur dissolution spontanée.

A la question "faut-il s'armer pour abattre le tyran ?", Etienne de la Boétie, démontrant à quel point il détenait le secret de sauvegarder, par-delà la glaciation des siècles, le ferment d'une vie à renaître, fournit à nos contemporains une réponse à laquelle ils ne pourront souscrire sans la mettre en oeuvre aussitôt : "Nullement. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l'ébranliez. Mais, seulement, ne le soutenez plus ! Et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre en bas et se rompre."

Raoul Vaneigem - "Pour l'abolition de la société marchande, pour une société vivante" - Mai 2002

 

Comment, mieux qu'il ne le fait, brandir l'exigence d'utopie, le retour à la valeur d'usage et plus celle d'échange, la volonté de vivre dans la jouissance de soi et plus l'exploitation, la fin du travail servile, la gratuité de la vie ?

Désirer sans fin au lieu de désirer une fin...
M'est-il donc impossible de le vivre ?
Seulement le penser ?

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