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Kotinos Ghost
19 mai 2004

Le cri

"Le Cri, d'Edvard Munch, ne laisse à la toile aucun espace de silence ; il se cogne contre les bords, chassant les ombres fugitives de traces humaines. Le cri se cogne et absorbe dans son echo toute empreinte de vie. Cri-révolte, cri-peur, cri-jouissance, cri-suicide, au bord d'un gouffre, limité encore par la barrière d'un pont. Le cri déborde déjà de la barrière comme s'il devançait le corps, "pro-jet" du corps. Hurler à la lune ou à la mort. La décharge du cri imprime toute la toile. Pas un espace n'ouvre sur le vide. Le corps qui crie suit la courbe de la décharge. Seules les mains contiennent le cri, tenant le visage à la bouche ouverte, ronde. Circularité de l'echo dont les volutes s'évanouissent là-bas, ailleurs, là où le corps criant n'est pas. C'est l'horreur que tiennent les mains aux formes allongées comme pour signifier la persistance sonore du cri ; ces mains en fuite qui ne retiennent rien d'autre que le visage du cri, incapables de retenir l'homme qui part, la perte heurtant les bords.

Le corps qui crie est déjà ailleurs, éventré. Est-ce la mort qui le traverse déjà ? Est-ce l'ombre de la mort qui vient de le traverser ? Le cri, version sonore du silence, marque la chair. Substance douloureuse extraite de la parole, il absorbe en sa circularité ce qui ne peut plus se dire. La mort déborde déjà un peu dans le cri. Se décharge, imprononçable. Le cri est. Le corps en est la déformation. Les mains retiennent, bloquent la parole possible. Seul le cri possède le corps. Autoconversation par le cri. La parole qui tranche n'a pas de lien, pas de lieu, exilée de l'espace qui ouvre sur le vide. Face et corps débordant du silence, le cri proclame la condition de mortel. N'est-ce pas une tête de mort qu'encerclent les mains, qui hurle l'impossibilité de dire ? Le corps s'évapore, apparemment sur la ligne droite qui ne mène nulle part, le corps-cri appartient déjà par son mouvement aux circularités de la matière. Les bâtons de lettres ne s'inscriront pas.
On ne peut pas écrire, transcrire un cri, sa répétition impossible ; il ne bredouille pas, ne bégaie pas, n'hésite pas. C'est le cri, lui, qui seul appelle le silence. Et parfois le silence, le trop de silence appelle le cri, une si faîble ouverture à l'abîme du silence. Une tentative d'échapper à l'enfermement total. Un cri, avant que le silence ne vienne tout refermer."

Laurie Laufer - Inarticulation

 

J'ai parfois l'impression que ce tableau de Munch me poursuit. Que je l'ai toujours connu. Reconnu.

Il y a quelques temps, j'avais écrit un long texte à son sujet parce qu'il hantait certaines de mes nuits et que je ne voyais que ce moyen-là pour m'en débarrasser. En pure perte, au demeurant.
Et ce matin, je suis tombée sur ce texte de Laurie Laufer, tellement plus achevé, tellement moins personnel, tellement plus universel.
Tellement plus beau dans l'horreur qu'il décrit.

Quelques années auparavant, c'est Folon qui avait dessiné une affiche, paraphrasant le Cri de Munch, pour le mouvement naissant de "Survie" auquel je participais. Ce mouvement était lui aussi issu d'un cri, celui de 55 Prix Nobel, relayé par Marco Panella, François-Xavier Verschave, Perez Esquivel et bien d'autres.

J'ai parfois l'impression que ce tableau de Munch me poursuit. 
A moins que ce ne soit moi qui le suive...

Etrange coïncidence qu'il fasse ainsi echo à ce que j'écrivais hier sur le silence....

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